…à 1974

 Et nous voilà arrivés, Patrick et moi la petite soeur,  au moulin où nous avons grandi. Le moulin tournait à plein régime pour fournir la farine aux boulangers, parfois d’ailleurs la nuit,  avec les ouvriers Marcel, Albert,  Biyel (diminutif de Gabriel, orthographe non conventionnelle), et Gustin qui conduisait le camion et livrait les boulangers.

Une enfance que nous partagions aussi pendant les vacances chez nos grands parents à Clarques, un terrain de jeux différent, quelques bons souvenirs avec Cerise, une jument exceptionnelle , et Martine, l’âne. 

La proximité de la rivière demandait une grande surveillance, et malgré tous les efforts, la porte du vannage avait  été laissée malencontreusement ouverte, il n’en fallait pas plus pour que Patrick tout petit (3-4  ans peut-être), déjà explorateur, échappant à la surveillance, ne soit retrouvé penché au bord du vannage par un ouvrier qui l’a rattrapé à temps. S’il était tombé, il aurait été aspiré par le fond…. La petite soeur n’était pas encore en âge de suivre les traces (frasques) de l’aîné.

Marcel le plus ancien ouvrier, il avait commencé à travailler au moulin à l’âge de 9 ans, était notre complice…Quand la retraite a sonné pour lui…à 65 ans,  perclus de rhumatismes, il a fallu lui dire , la mort dans l’âme, qu’il ne devait plus venir travailler….encore fidèle au poste . Il n’a pas caché ses larmes,…et notre mère l’a accompagné dans ce moment émouvant.

Un cadre exceptionnel,  l’imagination débordante de mon frère Patrick, qui excellait dans la mise en place de scénarios dans lesquels la petite soeur était le cobaye favori, avec des conséquences parfois douloureuses….nos vacances étaient chaque jour l’objet d’une nouvelle aventure…parfois plus ou moins scabreuse, et pas toujours du goût de nos parents. Nos lectures assidues du “Club des 5 “et du “Clan des 7” ajoutaient quelques idées à notre panel déjà riche.

L’été, nos cousins, Hubert, Thérèse-Marie et Monique venaient passer des vacances au moulin chez nos grands parents. Ils étaient évidemment complices de nos aventures.

Jouer aux cowboys et aux indiens était trop banal, il fallait y ajouter entre autres, le dressage des boeufs dans la pâture. Un beau jour, avec la petite chemisette à carreaux rouges agitée pour exciter un des boeufs, l’aventure s’est terminé par un record de course à pied de Patrick avec un splendide plongeon entre les barreaux de la barrière pour échapper au boeuf en furie. Plus de peur que de mal !

Chevaucher une génisse n’était pas forcément une bonne idée. Patrick a eu quelques soucis de peau, je ne sais plus quelle maladie, heureusement bénigne.

Que dire aussi de l’installation d’une tente bricolée avec une bâche de camion, installée à côté du poulailler…les deux cousines l’avaient investie pour jouer à la poupée, mais elles ne sont pas restées longtemps envahies par les puces….aventure qui s’est terminée par une séance d’épouillage par notre grand-mère.

La construction d’un mirador dans la pâture a été aussi un grand moment. Elle a valu si mes souvenirs sont bons un bout de chair en moins sur le doigt de notre cousin en élaguant une branche avec une machette. Une fois le mirador installé, nous avons pris notre rôle au sérieux au risque de créer une crise diplomatique avec un voisin qui voulait venir récupérer une vache dans notre pâture. Il nous insultés de tous les noms…dans le patois local, mais il est reparti sans sa vache. Il a fallu l’intervention de notre grand-père pour qu’il puisse récupérer son bien.

Et cet épisode…pas mal non plus… nous avions chacun un petit vélo, et nous faisions des circuits dans la cour qui me paraissait immense à l’époque. Au milieu, il y avait un ancien puits. Et Patrick, toujours en quête de nouveaux exploits, n’avait trouvé rien de mieux que de récupérer une vieille voiture d’enfant, que nous avions baptisée notre mercédés, et d’en faire un attelage derrière le baby-vélo. On devine aisément qui fut le passager, ou plutôt la passagère dans la mercédès. Elan pris sur la pente de l’entrée de la cour, Patrick sur le vélo, et Brigitte dans la mercédés, il fallait ajouter une difficulté, c’est-à-dire, non pas contourner le puits….trop facile,  mais faire un virage sec avant le puits…..le vélo est passé, mais la mercédés est rentrée droit dans le puits avant de se retourner complètement. Une cliente qui était dans la cour  avec son cheval et son tombereau est arrivée affolée secourir la petite soeur qui a émergé de dessous son carrosse, parait-il hilare et surtout indemne !

Les hivers dans ces années 50 étaient rigoureux, et notre Patrick bricoleur, avait réussi avec des arceaux en bois récupérés du camion, à assembler une luge qui ma foi était sympa. La seule pâture qui nous permettait de faire de belles descentes était la propriété d’un vieux garçon grincheux, qui plus est, souvent alcoolisé. Après quelques descentes sympas, la menace au fusil de chasse nous a fait vite rentrer à la maison.

Un bateau pneumatique, hérité de l’armée de l’air américaine par un oncle, a été également une aide précieuse pour de nombreuses aventures et explorations sur la Lys en amont et en aval du moulin. Nous avons fait participer amis et voisins à des balades sur la rivière parfois à leurs dépens !!! quelques uns ont pris des bains forcés !

 

Heureusement, nous avions interdiction de jouer dans le moulin, l’environnement des machines était extrêmement dangereux, et nous avons rarement transgressé les ordres, les ouvriers veillaient au grain, et pas seulement  de blé….il y a eu quand même une expérience, toujours du même Patrick,  d’ascension des étages par la corde  utilisée pour monter les sacs d’un étage à un autre, mais notre cousin chargé d’actionner la poulie, par un geste brusque a provoqué une ascension vertigineuse jusqu’au dernier étage…et la dernière trappe s’est refermée brutalement autour du cou de notre  flibustier…Grâce à l’ouvrier présent à l’étage, les conséquences n’ont pas été dramatiques ! Après décrochage par l’ouvrier, notre flibustier a été gratifié d’un coup de pied aux fesses. Je ne me souviens plus si notre père a été mis au courant.

Je garde quelques traces sur le nez, d’un jeu de lancers de briques, jeu dont je me suis vite lassée et , sortant de mon abri, pas eu le temps de dire que j’arrêtais, …. bing…brique sur le nez lequel s’est mis à pisser le sang. Sous la menace de me prendre un autre coup, j’ai dit aux parents que j’étais tombée…. !

A l’adolescence, dans le cadre des premiers échanges culturels franco-allemands,  Hacki, venant de Lendringsen en Westphalie, est venue passer un séjour chez nous. A cette occasion nous avions invité des amis français et allemands, et nous avons partagé quelques aventures également. La rivière, le bateau pneumatique…quelques plongeons non désirés, et cerise sur le gâteau, une bagarre à la farine dans le moulin….mais là nous avons dû déguerpir fissa, un des ouvriers nous a pourchassés  en brandissant son balai. Le nettoyage de la farine dans nos cheveux mouillés n’a pas pas été une partie de plaisir…sans compter le savon que nous avons pris après.

Je pense que nous aurions pu écrire un livre de nos aventures pendant toute cette période insouciante, jusqu’à l’annonce du cancer de notre père. Dans ces années là, on ne laissait guère d’espoir de guérison. 

Son courage face à la maladie a été une belle leçon de vie pour ses deux adolescents. Jusqu’au bout, il ne s’est jamais départi de son sens de l’humour et de sa propension à la dérision.

A son décès en 1968, Patrick a du prendre la succession au moulin. Notre mère gérait la partie bureau. Lorsque j’étais là je l’accompagnais en clientèle, parfois aussi en livraison en camion quand le chauffeur était absent…., deux gamins plongés un peu trop vite dans la vie adulte, avec probablement quelques rêves brisés à cette époque là.

En 1971, Patrick se marie avec Chantal et en octobre 1972, un petit Pennequin est né, Sébastien, le seul de la génération qui aura connu un peu le moulin.

Les perspectives d’avenir n’étaient pas brillantes pour les moulins tels que le notre, et en 1974 la décision a été prise….fin de l’histoire de la minoterie Pennequin….les machines sont arrêtées définitivement et le moulin sera vendu à un cousin qui le laissera un peu à l’abandon et le cédera à un nouveau propriétaire. De là sa nouvelle vie…le camping du moulin de Mametz.

 

 

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